Ulisse, l’unité du CNRS spécialisée dans le transport de la recherche, accompagne des scientifiques dans la préparation du projet REFUGE-ARCTIC, une expédition majeure dans l’océan Arctique. Avec un mot clé pour assurer le succès de cette aventure scientifique : l’anticipation.
Monter une expédition scientifique dans l’océan Arctique, avec des dizaines de scientifiques venus de quatre pays, des instruments fragiles à emmener et – il faut l’espérer – de nombreux échantillons uniques à ramener : voici le défi auquel s’est attelé le chercheur spécialisé en biologie des océans Mathieu Ardyna. Et pour l’accompagner sur tous les aspects logistiques inhérents à un tel projet, il a choisi de s’associer à Ulisse, l’unité du CNRS dédiée au transport de la recherche.
C’est que l’enjeu est de taille : « Nous ne pourrons pas sécuriser de nouveaux financements pour organiser une expédition de cette ampleur une seconde fois et de nombreux projets de scientifiques et d’étudiants dépendent des échantillons ramenés. Il faut donc que tout fonctionne parfaitement. Je connais Ulisse d’une précédente expédition qu’ils avaient organisée pour nous : j’ai donc confiance en eux pour tout faire pour garantir le succès de cette mission. », confie le chercheur rattaché au laboratoire Takuvik1 , un laboratoire de recherche international du CNRS au Québec.
Des virus aux ours polaires
L’expédition vise la caractérisation complète d’une des dernières régions arctiques dans lesquelles la glace ne fond pas pendant l’été : la mer de Lincoln (voir encadré). Pour cela, les scientifiques ont besoin d’amener sur place tout le matériel scientifique pour prélever des échantillons et les traiter en vue d’analyses ultérieures – bouées, petit catamaran, drones, système de mesures atmosphériques et de prélèvement de colonnes d’eau ou de carottes glacières, etc. Le brise-glace Amundsen sera mis à leur disposition par la Garde côtière canadienne. « La place est fortement limitée sur le navire : nous n’apportons que ce qui est strictement nécessaire et utilisable à bord par les 39 scientifiques qui pourront se joindre à l’expédition et devront travailler pour tous les autres. », assure le chercheur qui salue un « travail d’organisation collectif de plus de deux ans ».
C’est là qu’Ulisse entre en jeu. L’unité a la responsabilité du transport du matériel scientifique depuis les laboratoires répartis dans toute la France vers la zone de recherche en Arctique, et pourrait prendre en charge le retour des échantillons obtenus. À l’aller, deux conteneurs partiront par bateaux depuis Le Havre (l’un instrumenté par un laboratoire de Brest et l’autre rassemblant le matériel des laboratoires au Nord de la France) et seront rejoints par un conteneur au départ de Marseille, apportant le matériel des laboratoires du Sud de la France – une opération complexe de coordination dont Ulisse a le secret. Au retour, les échantillons prendront l’avion à destination des différents laboratoires français partenaires.
Le projet qu’il dirige, nommé REFUGE-ARCTIC2 , est donc un défi scientifique majeur, rassemblant plus de 60 scientifiques de 21 laboratoires français et 14 laboratoires canadiens, danois, allemands et américains. Grâce à 56 jours en mer, il entend étudier notamment les échanges entre océan et atmosphère, l’étendue et l’épaisseur de la glace de mer, les caractéristiques des masses d’eau et des courants (notamment l’apport en eau douce provenant de la fonte des glaciers ainsi que l’acidification et le réchauffement de l’eau), tout aussi bien que le type, la morphologie et le cycle biogéochimique des écosystèmes – des virus aux ours polaires – et la présence de contaminants (mercure, microplastiques, etc.). Prélever des carottes sédimentaires permettra aussi de comprendre les variations du climat dans cette zone sur les 150 000 dernières années. Toutes ces données permettront ensuite d’alimenter des modèles du système Terre et de la structure des écosystèmes.
Anticiper pour mieux planifier
La tâche, complexe, demande une planification minutieuse et un accompagnement des laboratoires impliqués : il s’agit de gérer différents types de cargaisons, des produits dangereux contenant du mercure ou des batteries au lithium jusqu’aux échantillons délicats nécessitant la gestion de quatre plages de température spécifiques. Parmi eux, des carottes sédimentaires ou des prélèvements biologiques avec des génomes à garder à des températures basses finement contrôlées. Ulisse, qui a récemment agrandi son site de travail, se charge de l’ensemble du processus, de la coordination des envois de matériel à la préparation des déclarations douanières, ou encore la vérification de la conformité des transports aux différentes réglementations et normes de sécurité à appliquer. L’équipe s’assure également de la fiabilité des prestataires intermédiaires, notamment lors des différentes étapes d’acheminement du matériel. « La plus-value d’Ulisse est de permettre aux laboratoires de gagner du temps et de mobiliser le moins de crédits possible sur ces opérations de supports de la recherche, tout en étant un guide précieux pour le transport de marchandises spéciales. », résume Vincent Polet, qui coordonne le projet chez Ulisse. L’unité a mis en place des marchés publics qui évitent le travail de mise en concurrence de prestataires de transport pour chaque mission prévue par chaque laboratoire, et propose aussi des assurances ad valorem. « Même si notre travail consiste à réduire les risques au maximum, le risque nul n’existe pas dans des projets si complexes. », prévient le coordinateur.
Mathieu Ardyna a contacté Ulisse en août dernier, soit près d’un an avant le départ de l’expédition : « Nous avions besoin d’estimer les coûts logistiques avec des devis fiables, afin de solliciter des financements adéquats. », explique-t-il. Sur la base de leur expertise dans les missions lointaines et d’envergure – en plus des transports du quotidien qu’ils assurent aussi –, l’équipe d’Ulisse a ainsi pu fournir un budget prévisionnel solide. Surtout, cette anticipation a permis d’ajuster la logistique du projet, en prévoyant par exemple de faire partir les consommables dangereux au plus proche du point de départ de l’expédition, et non de les faire venir de France. « Il nous faut aussi du temps pour prendre connaissance de tout le matériel à transporter et vérifier une à une les règles à appliquer, ainsi que pour les démarches réglementaires et administratives qui sont souvent complexes. », ajoute Vincent Polet. « Plus le projet est d’ampleur, plus il faut anticiper pour être en capacité de tout régler comme du papier à musique. », plaide-t-il.
Ce travail est encore en cours, et durera jusqu’au départ, prévu à l’été 2024. « C’est très agréable de pouvoir déléguer tout ce travail de logistique », conclut Mathieu Ardyna qui peut ainsi « se concentrer sur la science ».